En septembre 1969, j'avais 23 ans. Je venais d'acheter, ou plutôt mes parents venaient de m'offrir, une Honda CB350 bicylindre. J'étais tout à la joie de chevaucher ma nouvelle monture, rouge et blanche, et je me régalais du son grave du beau moteur, des accélérations vertigineuses, des chromes et du prestige que pensais en retirer. Il y avait aussi sur le marché les Suzuki et les Yamaha 250 bicylindres deux temps. Il y avait la Honda CB450, puis la Suzuki T500, mais c'était déjà la catégorie au-dessus. On parlait de Kawasaki, mais la marque n'était pas encore arrivée en France. A part ces machines, le paysage motocycliste était pratiquement un désert.
C'est à ce moment-là que la CB750 apparut. Je la découvris aux établissements Lhuissier, rue Caïs de Pierlas, à Nice, sous une robe vieil or. Quelle machine ! Quelle merveille ! Le frein à disque hydraulique, les quatre cylindres, les quatre pots, le moteur peint tout propre, le phare à iode, tout ce que le motard de l'époque osait à peine rêver était là ! Je me souviens que le prix élevé de la machine et la publicité firent que beaucoup de jeunes cadres dynamiques de l'époque se crurent obligés de se payer une CB750. C'était la mode, le permis moto était bien plus facile à passer qu'aujourd'hui, et le vol de moto n'était pas encore devenu le sport national. Tous ces messieurs étaient très fiers, à juste titre. Beaucoup se firent peur, certains se firent mal, quelques uns se tuèrent (j'en ai connu deux). Quelques irréductibles conservèrent leur monture et devinrent des motards.
Ma CB350 avait coûté exactement 6000 Francs. Je ne me rappelle pas combien coûtait la Quat'pattes au même moment. Mais c'était beaucoup plus. Et il y avait une telle différence, à tous points de vue, entre une 350 et une 750, que jamais je n'ai envisagé de pouvoir posséder un jour la plus grosse des deux. Alors que très longtemps j'ai rêvé d'une CB450, je n'ai jamais eu envie, ni même rêvé d'une 750, simplement parce que ce rêve me semblait totalement inaccessible. Qui a un jour rêvé de posséder un des immenses yachts du port de Monaco, ceux avec l'hélicoptère sur le toit, ceux dont un seul plein de gazole suffirait à notre Ford Fiesta pour toute notre vie ?
Les années ont passé. J'ai toujours ma CB350. Je l'ai restaurée, elle en est à son quatrième ou cinquième arbre à cames. Je pense toujours à la CB450. J'ai eu l'occasion d'en essayer deux. Mais cette machine avait dû grossir dans mon imagination pendant trente ans et j'ai été très déçu de ce que j'ai trouvé : elle n'était pas plus grosse que ma CB350 et elle ne marchait pas mieux. Il n'est pourtant pas impossible qu'un jour j'en achète une. Quant à la 750, toujours pas d'envie franchement déclarée. Dans mon esprit, cette machine restait inaccessible.
En fait,elle ne l'était plus. Quand l'occasion s'est présentée, je m'en suis vite rendu compte...
En discutant avec José, qui entretient les machines à café de l'usine, j’apprends qu’un de ses amis vend une Honda CB750 de 1972. Il veut s’en débarrasser et la brade à un prix très bas. La moto serait belle, en bon état, mais n’aurait pas tourné depuis dix ans. Le prix m’interpelle. Je demande le numéro de téléphone. Il me l’apporte peu après.
Je ne peux joindre le vendeur que dans la soirée. Il me dit que la moto tournait parfaitement quand il l’a arrêtée il y a dix ans. Il a commencé à la remettre en route, mais s’est vite arrêté. C’était il y a un an. Le prix est plus haut que ce qui avait annoncé initialement, mais en discutant, il baisse un peu. Des affaires comme ça, ça ne se rate pas. Je lui promets de le rappeler demain.
Mardi 9 avril 2002
Décision
Après avoir réfléchi, je décide d’acheter. Je rappelle le vendeur et je lui dit que je viendrai ce soir chercher la bête. Il sera là vers 18h30.
Nous partons, Annie et moi, en Picasso. Il commence à pleuvoir. Le GPS nous guide, c'est miraculeux, mais c’est surtout indispensable, parce que trouver l’endroit serait impossible sans ça : un petit chemin perdu dans la forêt à Pegomas. A l'heure dite, nous sommes devant la maison.
La moto est dehors, sous la pluie. Elle semble belle, mais elle est quand même fatiguée. Le réservoir et les caches latéraux ont été repeints. Ce n’est pas très grave. Pour le reste, c'est la Quat'pattes du Joe Bar Team : guidons bracelets, selle course, plus de clignotants ni de rétros, deux disques percés à l’avant, un à l’arrière, le compteur de vitesse cassé… Il n’y a pas trop de corrosion. Il y aura beaucoup de travail pour remettre cette moto dans son état d’origine, mais la base a l’air saine, et j’en ai restauré de pires.
Je paie le prix en Euros, nous remplissons le certificat de cession. Les caractéristiques sont donc :
Date de 1e mise en circulation : 04.05.73 |
MOTO HONDA CB750 |
N° dans la série du type : 2057570 SOLO Energie : ES |
Puissance : 7 Pl Ass. : 2 |
Il faut maintenant mettre la moto dans la voiture. Pas facile, parce que le frein avant est bloqué. Il faut pousser très fort pour bouger ces 230 kg. Nous enlevons le réservoir et la selle. Finalement, grâce à la force du vendeur, après des efforts importants, sous une pluie battante, nous pouvons coucher la bête dans le coffre. Elle ne fuit pas. Le hayon reste ouvert, tenue par une sangle. Nous faisons le trajet comme ça, et nous sommes à la maison vers 20 heures. Nous décidons d’attendre le lendemain pour sortir la moto du coffre, aidés par Philippe. Sous la pluie et de nuit, c’était vraiment pas l’idéal.
Type
La lecture de la RMT me montre qu’il s’agit bien d’un type K2. C’est très bien, parce que ce modèle était amélioré par rapport aux deux précédents.
Mercredi 10 avril 2002
Sortie
J’ai demandé à Philippe de venir m’aider à sortir la moto. Il viendra vers 20 heures. En attendant, je commence à retirer du cadre ce qui est démontable facilement, pour diminuer le poids. Je retire le kick, le garde-boue arrière, le phare, les compteurs. Tout ça est corrodé.
Philippe arrive. Avec son aide et celle de Thierry, nous sortons la moto de la Picasso. Sans effort exagéré. Nous la poussons fort pour la mettre dans le coin de la terrasse. Fort parce le frein arrière, c’est lui, est bloqué en position serré. Je prends deux photos : | ||
Première photo | Le moteur |
Je n’en fais guère plus. Il commence à pleuvoir. Je couvre la moto, et je la laisse dehors. De toute façon, le garage est plein.
Jeudi 10 avril 2002
Budget prévisionnel
Je fais un rapide calcul du coût de la restauration :
HONDA CB750 1973 |
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Budget de restauration |
Estimation |
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FRF |
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Pneus |
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1 000 |
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Rétros |
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100 |
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Clignotants |
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200 |
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Guidon |
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150 |
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Comodos |
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- |
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Béquille centrale |
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250 |
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Pots |
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1 200 |
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Compteur |
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250 |
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Chaîne |
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800 |
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Divers |
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400 |
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Peinture |
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600 |
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Chromage |
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1 000 |
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Zingage |
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500 |
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Total |
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6 450 |
FRF |
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Redémarrage |
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Filtre à huile |
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35 |
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Huile |
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130 |
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Plaquettes de frein |
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400 |
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Total |
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565 |
FRF |
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Administratif |
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Prix d'achat |
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4 500 |
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Carte grise |
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321 |
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(49 €) |
Plaque |
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100 |
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Total |
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4 921 |
FRF |
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Prix de revient |
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11 936 |
FRF |
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1 820 |
€ |
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Etalé sur |
12 |
mois |
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Dépenses (hors achat) |
620 |
FRF par mois |
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94 |
€ par mois |
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Lundi 15 avril 2002
Démontage et lavage
Il a pratiquement plu depuis jeudi dernier sans arrêt. Hier, j’étais à Pietra Ligure à un beau rassemblement auto-moto, avec la Motoconfort C45S qui s’est très bien comportée. Ce qui fait que la 750 est restée telle quelle depuis la semaine dernière.
Je reprends donc le travail. Je dépose tranquillement les composants électriques qui sont montés sur le support de batterie. J’enlève ce support, et j’en retire les silent-blocs en caoutchouc qui isolent la batterie des vibrations.